Bambi ou la leçon de vie

   J‘ai découvert Bambi (alias Marie-Pierre Pruvot) en 2007 lors d’une émission littéraire à la télévision. On y présentait son livre: « Marie, parce que c’est joli » retraçant le parcours atypique d’une transsexuelle passant, entre autres, du Cabaret à l’Education Nationale.
bambi 2   Trajet peu banal qui déjà retenait l’attention. Mais il a fallu 2013 avec le film de Sébastien Lifshitz pour qu’enfin l’histoire de Bambi trouve un public élargi, plus mature et prêt à entendre ce que peut être – vue de l’intérieur – une vie de transgenre.
Nulle théorie en ce documentaire. Simplement la narration par Bambi elle-même, en plan fixe, face à la caméra, de ce que fut son parcours; et on ne s’ennuie pas une seconde, tant la parole est juste et prenante, entre pudeur et sincérité, tant sa démarche s’impose comme une évidence: en dépit d’un destin contraire, elle n’a suivi que sa propre boussole, dans le respect de sa vérité profonde.
   Et nous parlant de sa vie, elle nous parle aussi de la nôtre. C’est pourquoi elle nous touche en nous rappelant l’essentiel :
– Quelle que soit la situation de départ (et pour un jeune garçon né dans une famille de pieds noirs dans l’Algérie des années 50, ce n’était pas gagné !) savoir FUIR et briser l’enfermement.
– Savoir aussi y mettre le temps (et la réflexion) et même dans l’apparente passivité, ne rien lâcher.
– Saisir l’opportunité (même dans un choix restreint : dans son cas, cabaret ou prostitution) et en faire un atout.
De l’ignorance, passer à l’excellence, et y trouver son bonheur: « Aimer mon métier, c’était m’aimer moi-même, une façon de crier ma vérité. »
– Comprendre quand une séquence se termine (le temps des paillettes, le mirage de l’apparence) et qu’une autre s’impose (et là, dans une reconversion magistrale : le bac à 33 ans, la Sorbonne, l’enseignement) mais toujours avec le même investissement, donc un égal bonheur (« J’ai adoré enseigner »).
– Savoir oublier et faire que la réconciliation soit possible.
La réussite n’implique pas nécessairement la revanche. Une fois stabilisée, Bambi accueille sous son toit la mère autrefois haïe.
– Accepter aussi de se mettre en danger : aimer une femme n’était pas prévu dans un parcours amoureux jalonné de conquêtes masculines. Marginalité, fragilité supplémentaire qu’elle accepte, une fois compris que de toute façon, « la vie est un perpétuel déséquilibre ». (Belle histoire par ailleurs que ce coup de foudre transformé au fil des années en affection et lien sécure).
– Réaliser enfin que « la vie est multiple et sans cesse à réinventer » quitte à « féconder tous les échecs » ( « Je veux voir l’existence sous un angle heureux »).
   Nous voilà bien loin du phénomène de foire et des idées de perversion attachées à la transsexualité. Bambi légende, Bambi pionnière et référence….Parcours singulier s’il en est, mais justement c’est cette singularité qui nous ouvre le chemin universel de l’indépendance et de l’accomplissement.
   Par-delà toutes les assignations identitaires (sexuelles, sociales) et tous les rôles à endosser, nous avons à exister en tant que personnes, tous clichés dépassés, et dans une constante évolution. Empêtré(e)s dans nos vies rétrécies, nous ne pouvons que saluer celle qui s’est si magnifiquement (et discrètement) affranchie et autrement remise au monde.
   Nous aimons toujours – ne serait-ce que par procuration – qui nous élargit et nous libère.

Madeleine