« Amours »… Voilà un joli titre pour un livre de théologie sur les personnes LGBT. Et pour donner plus d’attrait au propos – parfois austère – la couverture du livre *, reproduit l’icône de saint Serge et saint Bacchus, martyrs syriens du IVème siècle, en vêtements de noces, unis par le Christ.
   Mais pourquoi s’intéresser aux écrits de Thomas D’Aquin ? C’est que la pensée de ce théologien du 13ème s est LA doctrine de référence de l’Eglise catholique et qu’elle continue de nourrir la réflexion sur bon nombre de questions de foi et de morale. Le problème c’est que le « docteur angélique » (comme on le surnomme) a aussi écrit sur l’homosexualité ou plus précisément (puisque Thomas ne connaissait rien à l’homosexualité psycho-sociale) sur le péché de sodomie. Et il n’en dit pas que du bien, évidemment !
Sa théorie est sous-tendue par l’idée que tout acte sexuel doit avoir une visée procréatrice (c’est le fameux « croissez et multipliez ! » de la Genèse). Donc foin de masturbation et encore plus de sodomie. Mais une lecture plus attentive peut nous réserver quelques surprises. C’est justement ce que veut faire Adriano Oliva, auteur de ce petit livre de 50 pages.
Adriano Oliva n’est pas n’importe qui. Docteur en théologie, historien des doctrines médiévales et chercheur au CNRS, le dominicain veut apporter sa pierre à la compréhension de la doctrine de saint Thomas sur l’homosexualité. Et il le fait brillamment.
Partant de l’analyse d’un article de la Somme Théologique (l’œuvre monumentale de l’Aquinate), le chercheur affirme que Thomas a voulu montrer que l’acte sexuel entre hommes relevait en fait d’un état de « contre nature » naturel ! Qu’est-ce à dire ? En fait pour Thomas, l’homosexualité est inclination enracinée non pas dans le corps, mais dans l’âme, là où s’expriment l’affection et l’amour. Rien à voir donc avec la sodomie, liée au corps, et considérée contre nature. Oui, mais l’homosexualité masculine s’exprime assez souvent par la sodomie, non ? Ah, mais c’est que le plaisir, en tant qu’achèvement de l’action humaine, ne peut être contre nature. CQFD.
Et Thomas poursuit : « Il arrive que chez certains individus un principe naturel de l’espèce [le rapport sexuel en vue de la procréation] se trouve accidentellement altéré et alors, ce qui est contre la nature de l’espèce devient accidentellement naturel pour ces personnes prises dans leur individualité, comme il est naturel pour l’eau réchauffée de communiquer sa chaleur ». Il fallait y penser !
Saint Thomas distingue de manière très nette le principe de l’inclination homosexuelle, qu’il situe dans l’âme, du plaisir strictement vénérien et physique résidant dans le corps. D’où la distinction entre, d’une part, l’homosexualité qui incline à l’amour et à l’union sexuelle, et d’autre part, le vice de sodomie et autres péchés sexuels entre personnes de même sexe qui font un usage immodéré et sans amour du plaisir purement vénérien. On est sur le fil du rasoir !
Dans un chapitre consacré à la morale sexuelle, Thomas affirme que « le fait d’utiliser ses mains pour marcher ne constitue qu’un péché léger, voire aucun péché ». Adriano Oliva applique ce principe à l’homosexualité en remarquant que « bien que l’organe sexuel soit physiologiquement ordonné à l’autre sexe, qu’est ce qui interdirait de l’utiliser dans un rapport avec une personne de même sexe dans le contexte d’un vrai amour homosexuel, monogame, fidèle et gratuit ? ».
Le critère de diversité (entre les espèces mais aussi à l’intérieur de chaque espèce naturelle), est toujours invoqué par Thomas positivement pour prouver l’harmonie de la création. « L’existence d’une pluralité d’inclinations ne compromet par l’unité de l’ordre providentiel, mais rend compte de la richesse de son déploiement », affirme le chercheur.
Le point le plus délicat pour un grand nombre d’homosexuels chrétiens est que l’Eglise recommande la chasteté la plus stricte (c’est-à-dire l’absence de tout rapport sexuel). Mais l’auteur fait remarquer que « si elles n’ont pas une inclination pour la continence parfaite, (et l’homme étant un « animal social », il tend naturellement à s’associer) quand, entre deux personnes de même sexe, naît l’amour, il est naturel qu’elles s‘unissent et choisissent de vivre une vie commune ».
A propos du mariage, l’enseignement de Saint Thomas est clair : « seul l’union d’un homme et d’une femme, parce qu’ouvert à la procréation, peut se réclamer du mariage ». Pourtant Adriano Oliva note que « les pasteurs de l’Eglise sont appelés aujourd’hui à s’interroger sur l’opportunité de bénir chrétiennement les unions homosexuelles. Cette pratique, historiquement attestée, renforcerait l’union d’un baptisé avec son partenaire et offrirait un soutien au chemin de fidélité du couple homosexuel ». Et tout naturellement il recommande que « la législation des états puisse garantir les unions homosexuelles », sans toutefois les assimiler à un 
mariage hétéro, en principe ouvert à la procréation.
L’auteur note alors que la doctrine catholique sur la sexualité a évolué sur bien des points. C’est ainsi que, depuis Vatican II, « l’Eglise considère que l’usage de la sexualité n’est plus limité à la procréation, comme chez les animaux, mais que les rapports sexuels peuvent être pratiqués comme acte d’amour, entre les conjoints légitimes, pour le bien de leur union ». Ca semble évident, mais on passe souvent sous silence cette mini révolution.
Adriano Oliva reconnaît la responsabilité des Eglises dans le mal-être de nombreuses personnes homosexuelles : « La non-acceptation de soi est souvent cause d’immaturité chez les personnes homosexuelles qui risquent de devenir incapables de nourrir des relations stables d’amour ou d’amitiés, et qui, si elles ne sont pas inclinées vers la continence parfaite, risquent de vivre des rapports sexuels déréglés, sans amour véritable ». L’amour homosexuel existe donc bel et bien et n’a rien à voir avec une certaine image de libertinage qui lui est souvent associée – injustement.
Et les femmes dans tout ça ? Eh bien, elles ont de la chance, car les rapports sexuels entre femmes (quand les médiévaux daignent aborder le sujet) sont toujours considérés comme moins graves ! Pas vraiment une bonne nouvelle car cela renvoie au statut social inférieur de la femme, à leur invisibilité, dans les sociétés médiévales – et encore de nos jours !

Yves