Jean-Noël Dumont, philosophe élu à l’académie catholique de France en 2010, affirme lors d’une interview :

« Il faut le dire sans modestie : les catholiques sont très inventifs dans le domaine de l’éducation, du soin, de l’humanitaire. Ils sont à la source d’initiatives merveilleuses pour la présence aux plus démunis, aux immigrés, aux personnes handicapées, à toutes les formes de pauvreté. Son rôle d’acteur de la vie sociale est d’ailleurs largement salué. Mais alors qu’on reconnaît la valeur de cet engagement, pourquoi leur ferme-t-on systématiquement la porte au nez dès qu’ils veulent se mêler de politique ?… Acceptés quand ils pansent les plaies du corps social, discrètement, sans faire de bruit, ils perdent tout crédit quand ils interviennent dans l’agora, dans l’espace politique pour dénoncer la cause de ces plaies. Si bien qu’ils ont la sensation d’être des clandestins, des dissidents, dans un pays dont ils ont façonné la culture, les mœurs, le paysage…
Ma définition de la laïcité est toute simple : l’incompétence de l’État en matière religieuse. Autrement dit, l’État ne subventionne ni n’encourage aucune religion. Mais cette stricte neutralité ne signifie pas, comme c’est le cas aujourd’hui, l’effacement de la dimension religieuse dans le débat public. Deux exemples. Il y a peu, j’ai conduit mes petits-enfants au musée de Lyon, imprégné d’une longue histoire religieuse. Un audio guide leur proposait un parcours avec 10 œuvres à visiter. Aucune d’elles ne portait sur le patrimoine chrétien !… Savez-vous, d’autre part, que la notion de Dieu a été supprimée des programmes de philosophie, alors même que le questionnement métaphysique est au fondement de la discipline ? Tout se passe donc comme si la laïcité s’était transformée en athéisme, et en athéisme militant, agressif, qui exclut l’expression religieuse de tous les compartiments de la société. Pour moi, c’est une oppression, car on ne permet plus aux personnes de développer la dimension spirituelle de leur existence…
Ce n’est pas de l’État qu’il faut attendre le salut. Mais ce n’est pas non plus son rôle d’imposer le silence sur le religieux, sur l’aspiration spirituelle, sur la destinée ultime des personnes. Une cité muette sur les fins ultimes conduit à une suffocation silencieuse des âmes. Elle étouffe les hommes, les plafonne dans la finitude. Un pouvoir digne de ce nom doit se rappeler qu’il n’est pas seulement une technique, une simple gestion du vivre ensemble, mais qu’il doit aussi faire signe vers ce qui le dépasse, ce qui nous dépasse tous. »

Jean-Noël Dumont

Suite à la réaction exprimée par une personne du groupe sur le contenu du texte du philosophe ci-dessus qui l’avait un peu irrité,  il est apparu que ce texte a suscité plusieurs échanges et réactions  contrastés dans le groupe DJ Nantes.
Voici donc ci-dessous une synthèse (non exhaustive) de quelques réactions.

Première réaction :

« Moi, je partage plutôt cet article. Notamment lorsque l’auteur écrit que la laïcité s’est transformée en athéisme. C’est très juste et je trouve ça dommage. Dommage et dangereux … Je suis moi-même très remonté contre l’Eglise mais je pense qu’une foi et une religion bien vécue, comme celle de ma grand-mère, comme celle de quelques musulmans que j’ai connus quand j’étais jeunes, au Maroc, peuvent apporter équilibre et espoir, peuvent faire naitre la réflexion et la bonne conduite appropriée.   L‘auteur regrette que l’audio-guide du musée de Lyon ne mentionne aucune œuvre ayant trait à l’apport judéo-chrétien. Quand on sait que l’art jusqu’à la fin du moyen âge a été à 90% un art relié au message biblique, ça fait rigoler !!! Je peux vous en citer 20,  de tête, des œuvres religieuses du musée de Lyon !   J’ai été profondément choqué que l’ancienne ministre de l’Education sorte des programmes tout ce qui avait pour trait les Croisades. Les Croisades, c’est l’histoire et elles font partie de notre histoire, il faut en parler, les décrire. C’est en les connaissant, et non pas en les occultant, qu’on fera peut-être naître chez les jeunes le sens critique et le regard renouvelé sur ce chapitre de notre passé. … »

Deuxième réaction :

« Il m’importe d’exprimer mon malaise à la lecture du texte écrit par ce philosophe (de l’Académie catholique de France) qui déplore « l’incompétence de l’Etat en matière de religieux »  et qui accuse la laïcité d’être oppressive en « imposant le silence » sur Dieu (en fait, ni éducation, ni subvention…) Derrière la disqualification de l’un (l’Etat laïc, « athée agressif et militant ») et la victimisation de l’autre (l’Eglise réduite au silence), est-ce que ne se profile pas tout simplement le regret d’un POUVOIR perdu, celui d’autrefois, quand n’existait pas encore la séparation de l’Eglise et de l’Etat, quand les deux instances se confortaient l’une, l’autre, avec ingérence morale de l’une dans l’autre ? Qu’on se souvienne seulement, dans un passé très récent, de la tentative de l’Eglise, de faire abroger la loi sur le mariage pour tous. Voilà du concret à ne pas perdre de vue quand on nous parle « d’aspiration spirituelle » et « suffocation silencieuse des âmes ». Le « spirituel n’est pas toujours là où on le met, ostensiblement, et il y a bien des manières de « suffoquer »… tous les homos du monde en savent quelque chose. Pour finir et en contre-point, je pense surtout à cette analyse d’une Eglise en crise, lecture faite lors d’un séjour à l’Abbaye de Lérins. C’est un peu loin pour que je retrouve l’auteur, mais j’ai gardé en mémoire l’une de ses conclusions: « L’Eglise doit faire le deuil d’une religion structure morale et sociale et doit accepter qu’elle devienne maintenant un fait culturel et PRIVÉ. » On ne saurait mieux dire … »

Troisième réaction :

« J’essaie de rejoindre les propos de ce philosophe … il est professeur de philo en classes préparatoires et a écrit de nombreux livres « sérieux », un fait qu’on ne peut écarter d’un revers de la main. Le fait qu’il ait été élu à l’Académie catholique de France le disqualifie-t-il, comme inféodé à une institution honnie ? Nombreux sont les catholiques (et j’en suis) qui croient que la laïcité est une très bonne chose, le rempart nécessaire à toute mainmise du religieux sur le social. Mais séparation ne veut pas dire dénonciation ou négation du fait religieux (qu’il soit chrétien, musulman ou juif), et on peut regretter qu’un professeur de français (dans un établissement public, il y a deux ou trois semaines) soit démissionné car il avait fait étudier un extrait de l’Exode à ses lycéens. Je suis d’accord avec vous pour dire que les interventions des autorités religieuses dans le domaine public (souvent sur des questions sociétales) sont souvent calamiteuses (cf le mariage pour tous ou l’absence de réactions politiques au 2ème tour des élections), sauf quand il s’agit de défendre les Roms, les immigrés, des conditions de fin de vie plus dignes. En définitive, ce que l’Etat et les citoyens que nous sommes doivent gérer c’est la juste place à accorder aux diverses composantes religieuses ou non, associatives ou non, de notre société. Tout regroupement humain (une Eglise, une association LGBT…) a le droit d’exister et de se faire (re)connaitre – sans outrepasser ses droits. ….  Un dernier mot : cette interview date apparemment d’il y a 7 ans c’est-à-dire avant les dégâts de la Manif pour tous, avant l’assassinat du père Hamel et de la présence du président de la république lors du premier anniversaire de sa disparition. Gageons qu’en 2017, J-Noël Dumont aurait un regard plus réaliste sur les nécessaires limites et sur la coopération bienveillante de l’Etat avec les religions de France. »