Un colloque au titre provocateur qui renvoie indirectement, on l’aura compris, à la misogynie des institutions…
Comme on sait et comme le rappelle Laurent Grzybowski (journaliste à La Vie et animateur du colloque) « féminisme et religion n’ont jamais fait bon ménage et l’idée d’une responsabilité particulière des religions dans le « malheur des femmes » est très répandue dans l’opinion publique. Hiérarchie entre les sexes, méfiance envers les femmes, interdits multiples, pratiques discriminatoires, absence de lieux de pouvoir au sein des institutions sont autant d’éléments qui semblent confirmer cette vision critique »
D’où les questions qui s’imposent :
Les religions représentent-elles un obstacle à l’égalité homme/femme ?
Comment promouvoir une réelle égalité sans tomber dans une interminable guerre des sexes ?
Nos liturgies sont-elles des lieux d’exclusion ou d’inclusion ?
Comment les Ecritures peuvent-elles éclairer le débat actuel?
Les mouvements féministes sont-ils les mieux placés pour faire avancer la cause des femmes ?
La notion de « complémentarité des sexes » est-elle incompatible avec celle de l’égalité ? »
Tels ont été les thèmes abordés, d’abord au cours d’une conférence (Dialogue des pensées et des Ecritures à partir de textes du judaïsme, du christianisme et de l’Islam) puis, en ateliers thématiques :
Femmes et hommes : quelle place dans les Eglises protestantes, catholiques, islamiques (cf. expérience à la mosquée de Nantes : le café au féminin)
L’accès des femmes à l’autorité religieuse
Quels féminismes aujourd’hui ?
Eduquer au respect femmes-hommes
Aller vers l’égalité dans les Eglises et la société. »

   Voilà pour l’essentiel. On l’aura compris, une recension exhaustive des contenus est mission impossible, d’autant que pour les ateliers, il a fallu choisir (deux dans l’après-midi du samedi) C’est pourquoi j’ai choisi de restituer le temps fort du dimanche matin : la table ronde du dernier jour (qui s’est en fait présentée comme une suite d’exposés sans commentaires croisés) et qui posait la question :

« Faut-il faire un travail de réforme dans les Eglises et comment ? »

Question commune aux trois religions représentées par :
Attika Trabelsi pour l’Islam
Yann Boissière pour le judaïsme
Eugénie Bastié et Anne Soupa pour le christianisme.

1Attika Trabelsi (co-présidente de l’association féministe LALLAB)

   On ne peut que faire le constat de l’infériorité féminine dans toutes les religions et ce, pour deux raisons :
le religieux s’est développé dans la tradition misogyne du terreau patriarcal
les textes ont été utilisés (versets sortis de leur contexte) pour justifier la norme sociale de l’inégalité.
En bref, le sexisme n’a ni âge, ni religion, ni frontière.
La misogynie est contraire à un Dieu juste.
Un féminisme existe cependant : des femmes inconnues, méconnues bousculent les stéréotypes.
Le combat est double :
sur le plan inter-communautaire avec une interprétation autonome des textes
sur le plan extra-communautaire pour déconstruire les préjugés, et s’affirmer malgré les identités multiples (arabe, musulmane, française…voilée ou non voilée).
C’est ainsi que s’est créé le groupe LALLAB (contraction de LALLA : femme et LAB. de laboratoire) et qui s’est inspiré du combat des femmes noires américaines (noire et femme, la double peine). Il s’agit donc d’un féminisme dit « intersectionnel », regroupant les identités plurielles et croisées, en lien aussi avec les associations « queer », sans juger ni imposer.

2Yann Boissière (rabbin)

   A l’origine, les textes fondateurs étaient libérateurs. Au jardin d’Eden, il n’y a pas « homme » mais « humanité » non sexuée, que le Créateur va diviser (il s’agit de « côté » et non de « côte ») simultanément en femme sexuée et homme sexué (pas de hiérarchie entraînant un rôle secondaire). Mais par un retour d’élastique, la misogynie sociologique a repris ses droits. On a surdéterminé là encore les textes fondateurs. La femme est perçue comme un danger. Sa puissance vitale qui échappe à l’homme fait peur d’où l’obsession patriarcale du contrôle des corps.
Dans la tradition littérale, la dualité homme/femme pose un énorme problème aux religieux alors qu’il faut tout replacer dans la matrice culturelle (la Torah n’est pas tout, il faut accepter l’apport de la culture profane). Le masculin et le féminin sont deux modalités de l’humanité double. Nous sommes tous bisexués. Nous sommes des êtres de dualité et d’altérité (ce qui nous permet d’échapper à l’enfermement) Ne pas l’accepter reviendrait à marcher sur une seule jambe ! C’est pourquoi la parité s’impose. Il faut aller vers l’égalité des fonctions (femmes rabbins par ex.) et c’est le cas dans le judaïsme libéral (majoritaire dans le monde).

3Eugénie Bastié (journaliste au Figaro, rédactrice en chef de la revue Limite)

   Elle est dans la mouvance conservatrice (cf. Libération  » la jeune garde ultraconservatrice catholique ») mais refuse cependant l’étiquette de « réac ».
Elle rappelle qu’on a fait porter au fait religieux tout le sexisme alors qu’au Moyen-âge, les femmes furent libérées par le christianisme. La parité existait déjà : voir les nombreuses figures de saintes (modèles féminins) et le rôle de certaines religieuses (cf Hildegarde de Bingen).
Selon elle, la révolution doit se faire par un retour aux racines : christianisme et égalité hommes/femmes ont été là dès les origines. La différence des sexes est une asymétrie bonne. L’interchangeabilité ne permet pas les rôles de chacun.
Evidemment il faut reconnaître la crispation de l’Eglise face à la modernité, les femmes étant peu associées aux prises de position et décision, reconnaître aussi le défaut d’une Eglise encline à s’enfermer dans l’ultra-essentialisme (cf. Jean-Paul II parlant du rôle éducatif des mères « sentinelles de l’invisible »).

4Anne Soupa (co-fondatrice du Comité de la jupe)

   Il est inconcevable que la définition de ce qu’est une femme vienne du magistère romain !
Pour l’Église, un être féminin est une femme avant d’être un « être humain », s’opposant en cela à la définition de l’ONU (qui a remplacé le terme générique « homme » par « être humain » pouvant inclure les deux sexes). Jésus n’a d’ailleurs jamais fait mention de « sexe », pas plus qu’il n’a établi de rapport à la « famille ». Famille mise en avant dans le dernier synode qui regroupait 253 hommes et 4 femmes. On est loin de la parité. La moitié de l’humanité na pas voté ! Faiblesse d’une Eglise qui ne peut se réformer, alors qu’elle devrait tourner la page.
A quand la parole des femmes et le relais des laïcs ?
Sexisme, conservatisme, machisme ecclésial, régression encore renforcée par Jean-Paul II avec sa conception d’un homme offert gratuitement au monde tandis que la femme est « au service », au service du masculin par le mariage et la maternité.
On en est au niveau café du commerce !
Monstruosité de la discrimination alors que la Genèse n’a fait que dire : « l’homme et la femme sont faits l’un pour l’autre » exprimant par là une idée de réciprocité. La différence existe, mais si elle a été autant mise en avant, c’est pour justifier l’inégalité, alors que toute différence doit être ordonnée à l’égalité de principe : mes droits, mêmes dignité, mêmes responsabilités. Notre dignité, c’est d’être tous enfants de Dieu. La différence est surtout culturelle, nous avons à nous construire tous dans le « même » et le « différent ». C’est dans cet exercice que nous pouvons sortir de nous et nous ouvrir au monde.
Il est essentiel que les religions mènent à la paix et ce, en commençant par établir l’égalité entre les hommes et les femmes.

En conclusion, comment en sortir ?

Prise de conscience et relecture des textes, reformulation des concepts (cf. Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde »)
Travail de conversion (après tout Paul était à la fois machiste et touché par la grâce), éducation, transmission, en travaillant aussi dans l’inter-religieux.
Partenariat et action commune en société et dans l’Église (L’Église, c’est nous tous) dans des valeurs à prendre ensemble : l’égalité a aussi besoin de liberté et fraternité.

La libération nous concerne tous, celle des unes ne va pas sans celle des autres.

Madeleine
(synthèse des notes réunies de Sophie et Madeleine)