Dans l’air du temps

Il se trouve que récemment j’ai vu successivement les 3 films à l’affiche en ce moment : « Girl« , « Dilili à Paris » et « Le grand bain« .
Je n’en ferai pas une critique approfondie mais comme ils ont résonné en moi dans la même chambre d’écho, je vais les envisager sous le même angle : celui de l’émancipation (individuelle et sociale).
Si les deux premiers peuvent s’inscrire directement (« Girl ») ou indirectement (« Dilili ») dans la mouvance LGBT, ce n’est pas le cas pour « Le grand bain ». Tous trois reflètent pourtant cette même aspiration à se libérer d’un carcan.
La nouveauté de « Girl » vient du fait que la transsexualité n’est pas ici remise en question, et du coup nous évite les traditionnels conflits familiaux, sociaux. Au contraire, c’est apparemment « acquis » pour le père, pour les encadrants de l’école, pour les jeunes élèves du corps de ballet. Tout le monde semble de bonne volonté à commencer par le père touchant de bienveillance, souhaitant, comme tout bon père, le bonheur de ses enfants. Ce qui malgré tout n’empêche ni l’agression (l’invitation guet-apens où la jeune Lara est contrainte à l’exhibition) ni la solitude fondamentale de l’ado en devenir.
C’est de cette bienveillance apparente ou sincère qu’elle doit donc s’affranchir, dans l’urgence de s’affirmer, dans son identité et dans son rapport à l’autre. Face à la lenteur médicale, c’est elle qui finalement décide de « trancher dans le vif » (et l’expression prend ici tout son sens) initiatrice et actrice de sa propre métamorphose.
« Dilili« , quant à elle, doit d’abord sortir du cadre indigène où la confine l’esprit colonialiste de l’époque. L’enquête policière où elle s’implique et qui constitue l’intrigue, suit en fait le fil rouge de l’émancipation : libération des fillettes précocement asservies, et pour elle-même, la quête devient parcours d’apprentissage.
Le Tout-Paris qu’on lui donne à voir et rencontrer n’a rien d’anodin. C’est même très orienté ! Eminentes figures féminines, personnages à la marge, couples d’artistes homosexuel(le)s. Un monde qu’elle n’est pas en âge de décoder (pas plus que les jeunes spectateurs, les références culturelles seront pour plus tard) mais dont elle peut capter le charme et la diversité.
On espère que la ritournelle ponctuant le film, celle qui unit « soleil et pluie » , « jour et nuit »  » et au passage « elle et elle » « lui et lui » tout aussi bien qu' »elle et lui », fera école dans les jeunes têtes pour une vie future sans a priori ni préjugés.
Tout autre est l’univers du « Grand bain« , comédie large public, et pourtant l’histoire à sa façon déconstruit aussi les stéréotypes, ceux d’une masculinité qui ne saurait se compromettre dans un « sport de tafioles » (la natation synchronisée).
Ils n’ont rien de glorieux ceux qui vont concourir, losers décadents, dépressifs et mal fichus, qui plus est entraînés par des femmes, elles- mêmes tout aussi cabossées par la vie (une alcoolo humiliée, une handicapée sadique) face à leurs adversaires, tous athlètes formatés en série. Ce qui rend la victoire tout aussi improbable que renversante , car tout s’inverse : l’imperfection, la fragilité assumées l’ont emporté sur l’académisme et la virilité de façade. D’un coup la dignité est revenue au coeur des actants et la vie peut se poursuivre autrement.
Ce final très attendu au terme d’une fiction « feel good » vient pourtant cueillir le spectateur (ni canon, ni champion!) au creux de ses failles. Il le réconforte dans son besoin de justice : pour une fois, le mérite est récompensé, dans ce monde de brutes où, dit-on, ne survivent que les plus forts.

Et que retenir au terme de cette mise en commun ?

Chaque film à sa manière retrace une émancipation, une libération vis-à-vis des vérités imposées de l’extérieur, celles qui maintiennent en tutelle les individus et les sociétés. Cinéma reflet social donc mais pas seulement. De façon plus générale, toute culture non inféodée est elle-même vecteur d’émancipation, dans la mesure où elle renouvelle ses paradigmes. Dépassant les lois du genre et s’affranchissant des représentations traditionnelles, elle révèle et préfigure parfois ce qui va devenir une autre réalité.

Madeleine.