C‘est l’histoire, apparemment toute simple, d’un lycéen, très bon élève, quoiqu’atypique et assez solitaire, qui décide un jour, de faire en cours d’histoire, et dans le cadre de la seconde guerre mondiale, un exposé sur la censure et les auto-dafés de l’Allemagne nazie.
Or, face à la classe et derrière l’exercice convenu, c’est tout autre chose qui va se jouer. Très vite l’adolescent focalise son étude sur un cas bien particulier, celui de Magnus Hirschfeld médecin juif allemand dont les travaux furent en une nuit totalement détruits et la bibliothèque brûlée sur un bûcher d’infamie.
A vrai dire, le jeune s’attache surtout à ressusciter l’œuvre du médecin en question, c’est-à-dire ses recherches sur la sexualité et son combat avant-gardiste pour les droits des homosexuels. Il dérive dangereusement vers la question du genre et de l’identité, s’attarde maladroitement sur la souffrance du rejet, de l’exil. On sent qu’il veut convaincre et toucher, ému lui-même et comme dépassé par un enjeu mal défini.
Voilà que son exposé l’expose…
En racontant l’histoire d’un autre, on devine qu’il parle de la sienne sans toutefois jamais rapporter à lui le mot qui le désignerait.
S’agirait-il d’un coming-out déguisé ?
Exercice aussi acrobatique que périlleux… Le malaise se communique à l’auditoire. Inquiétude de la professeure qui cherche à recentrer sur le sujet de départ en recadrant plus large. Gêne de la classe apathique (« les quintes de toux se succédaient » ) et sarcasme d’un élève excédé (« … qu’est-ce qu’il vient nous embrouiller avec ce prétexte d’auto-dafé ? Il la crache, sa valda ?‘) :
Honte enfin de la petite amie (platonique) amoureuse du garçon en difficulté, qui se croyait payée de retour et qui se voit reniée devant toute la classe qui les croyait en couple.
Et au terme de l’intervention, c’est le flottement, pour ne pas dire le flop : peu de commentaires, aucun réconfort et même une menace au détour d’un couloir. De tous côtés, c’est l’évitement, involontaire ou délibéré : l’enseignante pressée a un rendez-vous avec l’administration, les rares amis déroutés passent vite à autre chose.
Fuite et non-dits, ne reste plus que la solitude : « Il sombrait dans un grand vide, une sorte de vertige sans fin. Il s’abandonnait à ce genre de tristesse compliquée parce qu’il était le seul responsable de ce qui venait de se produire. Il avait en quelque sorte organisé sa propre chute. Mais il avait toujours su que ce serait le passage obligé. C’était enfin arrivé, il n’était ni soulagé, ni libéré. C’était tout le contraire. Le ciel s’est obscurci d’un coup. Il sentait la honte monter. »
En exil moral jusque près des siens (parents anciens immigrés qui ont eu leur lot de difficultés et qui n’aspirent plus qu’à « vivre tranquilles ») il n’a plus qu’à disparaître pour ne pas déranger.
Se peut-il qu’à un siècle de distance la parole soit encore et ainsi « avortée » ?
Malgré la « visibilité » actuelle et les référents positifs possibles, il n’est pas inutile de rappeler qu’à l’âge-charnière où chacun(e) cherche son identité et sa place, la « différence » peut être dramatique, voire mortelle.
L’écrivain Didier Eribon avait déjà parlé de la nécessité pour le jeune homo de « se construire à partir de l’insulte ».
Le psychiatre Serge Hefez en analyse récemment les effets : « l’agression verbale frappe mentalement autant qu’un coup de poing. Nous sommes dans le registre du traumatisme, un traumatisme qui dure, avec des symptômes post-traumatiques parfois très enfouis, dissimulés sous des couches de combat pour être soi-même. Les effets sont particulièrement dévastateurs chez les jeunes qui arrivent à l’adolescence. Au moment où ils doivent développer une certaine estime de soi, tout ce qui leur est possible, c’est la honte, la dissimulation, l’impossibilité d’exprimer librement ce qu’ils sont et ressentent. Des clivages intérieurs se créent, une homophobie intériorisée surgit : la partie sociale de l’être insulte à l’intérieur de soi la partie homosexuelle. Cela engendre le mépris de soi, à un âge où il est capital d’établir les bases d’un narcissisme sain et d’une bonne estime de soi.
Les relations amoureuses, la confiance en soi et dans les autres sont atteintes. Ce sont des mécanismes très pernicieux. »
Plus loin il conclut : « Le problème, ce n’est pas l’homosexualité. Le problème, c’est l’homophobie. C’est une maladie sociale qu’il faut traiter sous toutes ses formes, pas seulement de façon punitive mais aussi préventive. Cela passe par une éducation sexuelle digne de ce nom qui, dès le plus jeune âge, informe les enfants sur toutes les questions de sexualité, de genre, de masculin, de féminin, qui leur permette de s’épanouir et non de se construire dans la méfiance ou le rejet. Cela prendra du temps.« 

Synthèse et reprise
Madeleine

Bibliographie :
– « JOUR DE COURAGE  » par Brigitte GIRAUD
(Flammarion septembre 2019)
PSYCHOLOGIE Magazine, octobre 2019 : article de Serge HEFEZ : « Homophobie, pour en finir avec la haine » L’article mérite d’être lu et analysé dans sa totalité. En particulier, il répond très clairement au paradoxe actuel : de plus en plus de tolérance mais aussi de plus en plus d’agressions. Par ailleurs, il développe l’idée d’un inconscient évoluant avec l’histoire et les sociétés, ce qui met à mal les archétypes figés, « l’ordre symbolique » défendu par les tenants de la tradition.