Du dernier livre de Dominique Fernandez, romancier, essayiste et italianiste français, membre de l’Académie française, agrégé d’Italien, docteur ès lettres, multi primé et à l’œuvre prolifique (il a 93 ans !), on était en droit d’attendre un nouveau chef d’œuvre.
Si ce n’est pas le cas du fait du caractère hybride de ce livre qu’on hésite à appeler roman tant il navigue entre celui-ci, l’essai et même parfois le théâtre (dans les dialogues entre Lucas et Gaël), ce n’en est pas moins un excellent livre qui se lit d’une traite.
Ému à 20 ans par lecture de son Porporino ou les mystères de Naples sur les castrats de l’auteur de La gloire du paria, premier roman sur le SIDA (1987), passionné plus tard par l’Étoile rose qui évoque la déportation pour motif d’homosexualité, j’avais un peu oublié cet auteur.

Son dernier roman annoncé comme le premier tome d’un dytique, sous-titré L’arc-en ciel interdit somme romanesque peut se lire comme le pendant du célèbre roman susnommé L’étoile rose (Grasset, 1978, réédité en 2012) puisqu’elle interroge la question gay aujourd’hui, après l’adoption du mariage pour tous.
Il met en scène Lucas Fabert un photographe de 64 ans. Dans sa jeunesse, il se sentait un paria ; aujourd’hui, il constate, avec des sentiments mêlés, l’insouciance des jeunes homos complètement libérés, complètement intégrés.
S’il se réjouit du progrès des mœurs qui leur a apporté le bonheur, il se demande s’ils n’ont pas perdu la force de contestation qui était autrefois la contrepartie glorieuse de leur angoissante marginalité : en un mot, s’ils ne se sont pas embourgeoisés. Jadis « homme de trop » parce qu’il faisait partie de la minorité exclue, il le reste par son refus d’abolir ce qui faisait sa différence, de se banaliser, de se fondre dans le conformisme ambiant.

Dans ce premier tome, Lucas se confie à son jeune ami Gaël oublieux du passé et ne comprenant pas ses réticences à l’idée que le droit à la différence se soit transmué en devoir de ressemblance.  Il lui raconte ce que furent son adolescence, son éducation sentimentale et les épisodes marquants de sa vie jusqu’à la libération des mœurs des années 70. Dans le second volume, sous-titré La liberté trahie (à paraître en mars 2022), il évoquera les péripéties de la campagne pour le mariage pour tous et s’interrogera sur les conséquences de la victoire remportée.
On est dérouté au premier abord par la construction narrative qui n’est pas chronologique et qui superpose des parties de pur roman avec des digressions sur l’histoire de l’art gay notamment italien dont l’auteur est un éminent spécialiste mais qui n’ajoute rien à son remarquable essai intitulé Le rapt de Ganymède spécifiquement consacré à l’histoire de l’homosexualité dans l’art qui m’avait fortement intéressé, moi qui suis totalement béotien sur ce sujet.
On peut d’ailleurs être un peu agacé par l’étalage de son immense culture, picturale, musicale (notamment pour l’opéra) et théâtrale qui sent son éducation bourgeoise inaccessible à qui est issu comme moi d’un milieu ouvrier et par sa propension à tout ramener à l’homosexualité. On sent l’autobiographie pointer derrière le roman.

Lucas commence son histoire par un des 4 « grands amours » qui ont ponctué sa vie, Sacha jeune repêché à l’association Le Refuge qui n’avait pas encore connu les tristes errements dévoilés récemment, passion qui s’est terminée prématurément et tragiquement, avec une digression incongrue sur « l’histoire du cochon à travers les âges » censée être une parabole de celle de l’homosexuel.
Après maintes incises sur l’art on en vient à la partie la plus intéressante où l’auteur confie à son jeune ami Gaël (aucune ambiguïté dans leur relation), l’histoire de sa vie, de ses amours et confronte ses expériences et sa vision de l’homosexualité avec celle d’un jeune professeur de lettres de première de 30 ou 40 ans son cadet, chacun tentant de comprendre l’autre.
Lucas tout en se réjouissant des progrès de la cause gay, s’inquiète de la normalisation qui risque de lui faire son caractère subversif, tandis que Lucas s’engage à fond dans le combat pour le notamment PACS tout en refusant pour lui-même ses avantages et en revendiquant une vie « libertine ».

J’avoue ne me retrouver ni dans l’un ni dans l’autre, peut-être parce que je me situe entre ces deux générations, bien que je connaisse de jeunes gays qui compte bien profiter de la vie de couple et même de la parentalité. Aussi c’est avec impatience que j’attends le deuxième volume annoncé pour découvrir si le combat pour le mariage pour tous et la PMA font évoluer les deux personnages principaux.

Au passage on découvre (pour ceux qui l’ignoraient) une vision nuancée de l’histoire et de quelques personnages clés (Napoléon et son ministre Cambacérès, les grands écrivains plus ou moins secrètement gays du XXème siècle (Marcel Proust, François Mauriac, Julien Green, André Gide, Stephen Zweig …) l’homosexualité dans la collaboration et la résistance…

Je ne peux m’empêcher cependant de noter quelques invraisemblances dans le personnage de Gaël qui, professeur de lettres en première n’a jamais réussi à lire le pur chef d’œuvre de Proust A la recherche du temps perdu  en s’arrêtant dans la lecture de cette somme à Du côté de chez Swann, alors que le dernier tome à Sodome et Gomorrhe est le plus intéressant pour les gays, ignore la signification du mot  paria et s’exclame à propos du film de Luchino Visconti Mort à Venise  : « Ah oui je l’ai vu », sans paraitre connaitre le roman de au titre éponyme de Thomas Mann dont il est tiré !
Se peut-il que le niveau ait tellement baissé depuis mes études de jeunesse en littérature ou bien Fernandez pousse-t-il le bouchon un peu loin pour marquer les différences de générations ?

Bien entendu l’Église surtout sa frange traditionaliste et la bourgeoisie sont plus qu’égratignées au passage bien que l’auteur appartiennent à cette dernière. La droite notamment extrême, maurassienne, pétainiste et lepéniste (père) et même gaulliste et giscardienne, est durement dénoncée qui a toujours combattu nos droits mais la gauche, notamment l’extrême gauche marxiste ou révolutionnaire (Proudhon, Sartre …) ne sont pas épargnées citations ultra-homophobes parfois stupéfiantes à l’appui de même que la social-démocratie si molle sous Jospin et Hollande à faire avancer nos droits. De même pour la psychanalyse de laquelle l’auteur tire aussi des citations horrifiques.

En tout cas un livre à lire absolument pour tous les passionnés de l’histoire de l’homosexualité et de bonne littérature.

Pierre