Grâce à Dieu retrace la naissance de l’association de victimes La parole libérée à Lyon en 2015 et le combat d’adultes qui accusent le même homme d’abus sexuels. Cet homme, c’est le père Bernard Preynat, dont les victimes vont se révéler nombreuses, comme l’illustrent dans le film les sonneries successives de la permanence téléphonique de La parole libérée…
Et c’est d’abord dans la position sociale de l’agresseur que réside la particularité de l’affaire Preynat : l’homme est un prêtre en charge d’enfants, notamment dans le contexte de camps scouts et d’activités paroissiales. L’aura de l’homme d’église charismatique et apprécié de tous suffit en effet à tuer dans l’œuf toute voix discordante…
Le film présente la mécanique et l’enchaînement des faits à mesure que les victimes témoignent et se mobilisent. Déplacement du prêtre par sa hiérarchie, plaintes des parents de victimes adressées aux autorités religieuses mais pas à la police, promesses non-tenues d’éloigner le prêtre des enfants… Autant d’éléments qui, mis bout à bout, expliquent comment ces crimes (agressions sexuelles et viols sur mineurs de moins de quinze ans) ont pu être perpétrés aussi longtemps, faisant autant de victimes. En nous entraînant dans un premier temps dans l’enquête d’Alexandre (une des victimes) pour obtenir des réponses, le film dénonce l’immobilisme auquel se heurte celui qui remet en cause l’institution. Avec une patience qu’on ne peut que louer, Alexandre pousse toutes les portes pour éviter de faire sortir l’affaire du cadre diocésain et qu’un scandale n’éclate. Mais devant l’insoutenable légèreté avec laquelle on reçoit son témoignage, il se résout à emprunter d’autres voies…
Grâce à Dieu montre aussi comment les silences de chacun (plus ou moins coupables) font ensemble une chape de plomb et fondent une loi du secret qui protège l’agresseur et isole encore un peu plus les victimes. Pour elles, comment trouver la force d’en parler (à qui ?), de témoigner, ou même dans certains cas, de se souvenir… ?
Ce sont les histoires personnelles et familiales des fondateurs de La parole libérée qui peuvent le mieux ébaucher une réponse à ces questions. La grande force de Grâce à Dieu, c’est d’être fidèle à la complexité de ces histoires. Une esthétique de la nuance et la volonté de ne pas trahir la vérité. S’il y a de l’indignation, c’est plutôt du côté du spectateur qu’elle se situera.
Le film n’est pas le pamphlet contre l’Eglise qu’on pouvait craindre. Le réalisateur s’en prend au silence de ceux qui auraient dû dénoncer ces crimes au lieu de les minimiser, de les couvrir…
A ceux qui lui reprocheraient de vouloir influencer l’opinion ou la justice, F. Ozon répond : « Je ne dévoile que des faits établis, admis par le prêtre et qui ont été divulgués dans la presse. Mon film n’a rien d’un procès »
Il dénonce plutôt ce que toute conscience impose de dénoncer et s’attache à rendre compte de combats intimes d’hommes fragilisés au plus profond d’eux-mêmes. Le choix de présenter les trajectoires de trois personnages aux existences très diverses a le mérite de rendre compte de la diversité des manières de survivre. Les abus qu’il a subis n’empêchent pas Alexandre d’éduquer ses enfants dans la tradition catholique et la foi qui continue de l’habiter. Emmanuel quant à lui, n’a pas fondé de famille et s’abîme dans les addictions. Mais au-delà de ces situations a priori opposées, c’est la même ombre qui semble planer sur leurs existences… Pour François, c’est plutôt au sein de la cellule familiale que l’impact des abus qu’il a subi se perçoit, faisant la démonstration (si besoin était) que les violences subies par un enfant font aussi des victimes collatérales.
En définitive, Grâce à Dieu témoigne que les victimes du père Preynat ne peuvent que vivre avec ce qu’il leur a fait. F. Ozon n’évince pas complètement la question du pardon si chère à la tradition catholique. A travers le personnage d’Alexandre, cette notion apparait comme une possibilité laissée à la victime qu’elle est seule à pouvoir accorder ou refuser. Mais il s’agit bien d’une démarche personnelle qui ne peut en aucun cas se substituer à la justice qui, elle, doit être rendue.
La sortie en salle de Grâce à Dieu a failli être reportée par une plainte des avocats du père Preynat qui n’a pas encore été jugé mais a avoué les faits. Ce jeudi 7 mars, en revanche, le Cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon (et mis en scène dans le film de F.Ozon) a été condamné à six mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Lyon pour n’avoir pas dénoncé les agissements pédophiles du père Bernard Preynat.

Camille

https://www.20minutes.fr/arts-stars/cinema/2452171-20190219-francois-ozon-grace-dieu-bons-contre-mechants

https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/08/la-condamnation-du-cardinal-barbarin-une-onde-de-choc-dans-l-eglise_5433181_3224.html